jeudi 9 avril 2020

Une cabane dans mon salon ou pourquoi les enfants confinés construisent-ils des cachettes ?

Un virus qui rôde, plus d’école, plus de copains avec qui jouer, des parents omniprésents… pour faire face à ce nouvel environnement, certains enfants se construisent des refuges intérieurs. Autant de miniconfinements apaisants.

Par Yoanna Sultan-R'bibo  (article paru dans le Monde le 26 mars)

Robijn Page/Westend61 / Photononstop

Une heure que Lou, 8 ans, s’affaire dans l’appartement. Elle a tiré son matelas jusque dans le couloir, calé un toit avec une couverture coincée entre les portes et avec des pinces à linge, installé un coin bibliothèque, un garde-manger et une guirlande lumineuse pour « voir dans le noir ». Le même soir, le premier du confinement, Gaspard, 10 ans, a piqué discrètement les chaises du bar, tiré des plaids du haut de son armoire jusqu’aux sièges, et calé les bouts avec des livres. C’est là qu’il a décidé de dormir depuis, entre les coussins et les paquets de gâteaux.

« Ma cabane est une source de vie, il peut y avoir des animaux qui attendent d’être emportés dans les bras des enfants, comme une licorne blessée, ou une sorcière qui attend d’être aimée. » Juliette, 8 ans

Les enfants sont nombreux à avoir eu le réflexe « cabane », dès le lundi 16 mars. Pour y passer la nuit ou simplement du temps pendant la journée. Pour Perrine Saada, psychologue clinicienne et psychothérapeute, « l’enfant crée ainsi une sorte de miniconfinement dans le confinement. Mais celui-ci est choisi, et c’est lui qui en définit les modalités : qui rentre dans la cabane, quand, à quoi on joue, de quoi on parle ».

Plus d’école, plus de cantoche, plus de copains avec qui jouer, plus de fêtes d’anniversaire le week-end… et des parents angoissés qui au mieux télé-travaillent dans le salon, et au pire partent bosser à l’extérieur, là où le danger coronavirus guette. Face à cette perte de repères, de rythme, de cadre, les enfants ont besoin de combler le vide. « Et la construction d’une cabane y répond, car elle leur permet de se réapproprier le réel. » Tout en laissant la place à des jeux imaginaires.

Un imaginaire féerique, qui les entraîne loin du réel. « Ma cabane est une source de vie, raconte Juliette, 8 ans et déjà poétesse ; il peut y avoir un repas somptueux, des animaux qui attendent d’être emportés dans les bras des enfants, comme une licorne blessée, ou une sorcière qui attend d’être aimée. » Ou qui exprime différemment l’angoisse générée par l’épidémie et le confinement. Paul, 7 ans et demi, a ainsi transformé le canapé du salon en bunker antiatomique… ambiance guerre des étoiles. « C’est pour se protéger de l’attaque des clones… Et le petit trou que j’ai laissé, là, c’est pour qu’on puisse leur tirer dessus », explique-t-il en redisposant méticuleusement les coussins rigides pour créer des murs et un toit.

« C’est une démarche très saine, la construction d’une cabane ! Car l’enfant est pleinement actif, contrairement aux écrans qui le rendent passif », remarque Perrine Saada. Alors que tout le reste de la situation lui échappe, qu’il se sent impuissant, il reprend le pouvoir en construisant. « La cabane répond alors à ce besoin de liberté, de sentir, d’imaginer, d’être et d’avoir. » Il gagne en autonomie, puisque souvent, il veut la faire « seul », sa cabane. « Et le processus de construction est aussi important que le sentiment de satisfaction ressenti quand la cabane est finie », poursuit la psychologue clinicienne. Lou a tenu à ce que la photo de sa cabane soit postée « tout de suite » sur le Whatsapp familial. Puis en a fait un dessin afin de « garder un souvenir pour après ».

Des éponges émotionnelles


Dans la cabane façon « tente bédouine » de Sarah, 5 ans et demi, il y a des livres, des poupées, des bijoux, façon butin, en vrac, comme dans la grotte d’Ali Baba. Et elle exige une porte, en l’occurrence un rideau. Depuis le 16 mars, finalement, elle y joue peu, mais refuse absolument qu’on la détruise. Elias, 4 ans, dort depuis trois jours dans « une cabane cachette », sous son petit bureau.

Car évidemment, la cabane est aussi un refuge, un abri, qui devient « un espace sécurisant, intime, qui va apaiser psychologiquement l’enfant », poursuit Perrine Saada. Car même si on les protège autant qu’on peut, les enfants sont des éponges émotionnelles. Qui sentent l’inquiétude des parents, l’angoisse de l’incertitude, ne serait-ce que par une expression sur le visage, une attitude différente, des tensions dans la voix. « La cabane représente la sécurité affective qui lui manque alors qu’il ne sent pas son parent stable émotionnellement – et qui le serait face à cette situation ? », souligne la psychologue clinicienne.

Tous les soirs, dans son lit devenu cabane, Chloé, 6 ans, s’entoure plus que jamais de coussins, de doudous, de grosses couettes, pour recréer un cocon. « D’un point de vue symbolique et psychanalytique, la cabane représente l’enveloppe originelle, maternelle, rassurante, contenante », analyse Perrine Saada. Comme si les cloisons de la cabane, aussi fragiles soient-elles, pouvaient protéger contre le virus et la maladie.

Faudra-t-il les laisser retourner les coussins du canapé, squatter les couloirs, vivre ou dormir sur des plaids poussiéreux à même le sol pendant plusieurs semaines ? « Si la cabane leur fait du bien, dans cette situation exceptionnelle, alors il faut les laisser se l’approprier… » Comme l’écrit le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, « un enfant heureux, c’est un enfant qui est à la fois sécurisé et dynamisé ». Doit-on, par conséquent, pousser les enfants qui n’en ont pas l’idée à se construire ce petit refuge ? « On peut leur proposer, si c’est un jeu qu’ils n’ont pas l’habitude de mettre en œuvre. Mais il faut être attentif à leur réponse », conseille Perrine Saada. Et surtout veiller à ce que les angoisses de confinement ne les poussent pas à un repli sur soi absolu.

« En construisant des cabanes, l’enfant devient son propre prescripteur de bonheur », conclut la psychologue. Là où l’adulte lutte avec ses angoisses et essaye par tous les moyens, du jogging à la méditation, d’atteindre la fameuse pleine conscience, l’enfant y arrive souvent spontanément. D’ailleurs, Juliette, 8 ans, ne s’y est pas trompée : « La cabane, ce n’est pas pour les parents. Ils gâcheraient l’ambiance, ils sont trop sérieux. » Alors, à vous de jouer ?

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