samedi 25 avril 2020

Gérer les écrans en période de confinement



RADIOGRAPHIES DU CORONAVIRUS (France Culture)

Quelques conseils pour gérer le temps d'écrans à la maison avec les enfants et les adolescents. Pour ce nouveau rendez-vous sur l'éducation en période de confinement, Louise Tourret s'entretient avec la psychologue Sophie Marinopoulos. Comment limiter le temps passé devant les écrans en période de confinement?

• Crédits : smartboy10 - Getty


L'école à la maison, c'est une interview bi-hebdomadaire dont l'objectif est de répondre aux questions éducatives que nous nous posons en cette période de confinement. Chaque entretien propose des réponses pratiques et des pistes de réflexion pour ne pas rester démunis dans cette situation inédite et nous aider à trouver nos propres solutions. Après le suivi du travail des élèves, nous abordons un thème qui occupe et préoccupe les parents au plus haut point : le temps passé devant les écrans.

Sophie Marinopoulos, psychologue et psychanalyste, autrice d'un rapport sur la santé culturelle du jeune enfant pour le ministère de la Culture en 2019, nous rappelle quelques règles pour les petits, les adolescents (et les parents !) et nous engage à ne pas économiser le temps passé à parler de ce qui se passe sur les écrans des familles.

Louise Tourret : Dans cette période de confinement, la question du temps passé devant les écrans se pose avec encore plus d'acuité, puisque les écrans sont désormais convoqués à la fois pour le travail scolaire, les loisirs, mais aussi dans une dimension supplémentaire, celle du maintien de la sociabilité, des relations avec les amis.

Sophie Marinopoulos : L'utilisation des écrans n'a pas fondamentalement changé, ils restent le support d'une activité de médiation. Notre rôle en tant que spécialistes de l'enfance est de dire à ceux qui pensent qu'on peut laisser un enfant seul devant l’écran, attention, l’écran ne doit pas "faire écran" à la relation. Très concrètement, ce n'est pas parce que l’enfant est confiné qu’il doit être livré à lui-même sur les écrans. Restons dans cette logique que nous sommes une société qui a des écrans. Donc nos enfants et nous-mêmes les utilisons, mais à une seule condition : qu’ils ne viennent pas attaquer la relation. C’était tout le sens de mon rapport sur la santé culturelle qui est la santé des humains, c’est à dire la santé de nos relations.

Aujourd’hui, on doit lutter contre cette crise sanitaire terrible. Mais il y a aussi une autre crise, plus insidieuse, qu’on n’entend pas et qu’on ne voit pas, et qui concerne la santé de nos relations : être confiné est une situation à haut risque parce qu’on va empiéter sur nos intimités respectives, sur le temps de l’autre. Et on sait bien que ces empiètements représentent un risque d’atteinte à la qualité et à l’équilibre des relations, en particulier des relations familiales.

LT : Est-ce que c’est une question de gestion du temps au sein de la famille, entre les enfants et les parents - parents qui eux doivent parfois travailler à domicile et ont aussi envie d’entretenir leurs relations sociales (et cela va se faire via des téléphones et des ordinateurs) ? Faut-il se donner des horaires?

SM : Évidemment la question du temps est très importante puisque habituellement nous courrons après le temps, et là aujourd’hui on nous demande d’habiter le temps. Pour les parents qui se retrouvent toute la journée enfermés avec les enfants, qui doivent à la fois télétravailler, faire travailler leurs enfants, faire en sorte qu’ils ne regardent pas trop les écrans, le défi est majeur. Découper la journée est très important parce que cela évite l’effroi de se dire "Comment je vais faire pendant 8 heures avec eux ?" Nous pyschologues entendons beaucoup de panique autour de l’immensité de ce temps, donc diviser la journée par petites tranches et organiser sur ce temps-là des activités, c’est soutenant pour tout le monde.

Après, nous sommes face à une des problématiques majeures de notre société, c’est que nous passons notre temps à faire faire des activités à nos enfants, de même que nous faisons sans cesse des activités. Evidemment, les enfants ont perdu le rapport à l’ennui, le rapport à l’imaginaire. Toutes les activités ludiques imaginaires sont en général oubliées au détriment d’une activité cadrée, organisée autour d’ateliers pensés par les adultes. On est face à un véritable défi pour la famille : il faut qu’on accompagne, qu'on donne des idées à ses enfants pour qu’ils puissent être autonomes dans leurs activités ludiques.

LT : Et avec les adolescents, qui eux ne sont pas en demande mais plutôt en retrait, voire souvent en refus d’intervention parentale, quelle stratégie adopter ?

SM : Dans cette période de crise, les parents vont découvrir leur maturité, parce qu’un adolescent a des avis tranchés, il est à une période où il expérimente son discernement et cela va le conduire à entrer dans des débats d'ordre politique, philosophique, sur la mort, la maladie, le monde, l’effondrement, l’écologie, etc. Et ces réflexions vont transformer les discussions au sein de la famille.

D'autre part, il ne faut pas être frontal avec les adolescents, les empêcher d’être tout le temps sur leurs écrans. Il faut qu’ils puissent avoir un temps pour eux, pour se détendre, et en même temps pouvoir les interroger : "Qu’est-ce que tu regardes en ce moment? J’aimerais bien découvrir ce que tu fais ?" parce qu’on a rarement le temps de ces approches avec les adolescents. C’est un défi, et là il y a vraiment une éducation à l’écran que nous devons avoir les uns et les autres, parce que quand on est confiné, on recherche le contact et la relation par l’écran via Skype, Whatsapp, et puis on télécharge, etc. Toutes ces habitudes qui prennent énormément de place doivent nous obliger à nous réfréner, à nous dire "Allons plutôt du côté du dialogue de l’échange, de la rencontre, de l’activité ludique, de la créativité, de l’imaginaire".

LT: Avec cette police que certains parents se sentent obligés de mettre en place, les écrans deviennent justement un sujet de conflit. Comment éviter de se mettre en colère, de priver, de rentrer dans des relations extrêmement tendues, de jouer au chat et à la souris avec ces objets que les enfants vont vouloir s’accaparer?

SM : Chaque famille a posé ses règles en général, c’est ce qu’on entend beaucoup quand on interroge les parents, quand on leur demande "Chez vous, qu’est-ce qui est autorisé ?". Les parents se sont en général informés et ils ont essayé d'établir leurs règles propres. Ce qui est très important, c’est de tenir ses règles, parce que si vous annoncez quelque chose mais qu’ensuite, si l’enfant crie très fort, fait une grosse colère, il obtient 5 mn de plus, l’enfant bien entendu comprend à quel point les pleurs sont un pouvoir à part entière. Donc c’est très important que le parent décide de ce qu’il autorise ou pas, avec bien entendu les conseils qui peuvent lui être donnés, et qu’ensuite il s’y tienne. L’écran ne doit pas être considéré comme un objet qui annule la relation ou qui coupe l’enfant de toute relation, mais au contraire comme une médiation et dont on peut parler.

Avec un tout petit, on ne le met pas tout seul devant un écran, s’il regarde un dessin animé de 2-3 mn, il doit être accompagné, et on en parle après, ou bien on peut proposer de dessiner le bonhomme vu à l'écran par exemple, pour revenir à une activité plus créative. Un adolescent, lui, va avoir envie d’être tranquille pour voir ce qu’il a choisi de regarder, ce qu'il faut accepter mais à condition que le parent soit capable de s’intéresser ensuite à ce contenu, et de maintenir les règles qu’il avait énoncées. Si chaque famille a des règles différentes - avant manger, après manger, avant de se coucher - il faut s’y tenir quelles qu'elles soient. C’est ce qui donne de la solidité aux parents : être fiables dans leur parole.

LT : Mais ces règles ne vont-elle pas exploser avec le confinement, avec ce quotidien qui est bouleversé et dans lequel on perd aussi nos repères en tant qu’adultes ?

SM : Si on veut continuer à vivre comme avant, comme si on n’était pas confiné, c’est impossible. On parle du défi sanitaire du coronavirus, moi je parle du défi sanitaire de la santé relationnelle. C’est un autre défi. 

Trois points à retenir
  • Fixer des horaires et des règles, qui peuvent changer avec le confinement ou les vacances, mais ne peuvent pas être renégociées
  • Parler de ce qu'on fait sur les écrans, engager le dialogue, notamment avec les adolescents
  • Prendre soin du temps libre d'écrans. Temps fondamental pour se retrouver ou ne rien faire de spécial car, de même que tous les moments ne doivent pas se passer devant les écrans, tout le temps libre ne doit pas être programmé et organisé par les adultes

Retrouvez le rapport de Sophie Marinopoulos : Une stratégie nationale pour la Santé Culturelle – promouvoir et pérenniser l’éveil culturel et artistique de l’enfant de la naissance à 3 ans dans le lien a son parent, remis au Ministère de la Culture en juin 2019.

Pour les parents qui ont besoin d'aide, la ligne de l'association Les pâtes au beurre : ‪02 40 16 06 52‬


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