APPRENDRE PAR LE JEU

Le jeu permet-il des apprentissages ?

On peut se dire "Le jeu n'est pas sérieux, on va à l'école pour travailler." Certains enseignants "habillent" des activités scolaires de manière ludique, mais s'agit-il  de jeu ? Il s'agit de rester clair sur l'intention et sur ce qu'on entend par "jeu".






Freud : "Le contraire du jeu n'est pas le sérieux mais la réalité"

Qu'est-ce que le jeu ?

Gilles Brougère (1) , responsable du DESS en sciences du jeu à Paris 13, nous donne une définition du jeu en cinq critères :

  • la fiction « réelle » : quand on joue, on fait semblant ( "c'est pour de faux" disent les enfants, "on dirait que" ...) même si on part toujours de la réalité. Le joueur s’y investit avec autant de sérieux que dans la réalité ; 
  • l’adhésion : il n’y a jeu que si le joueur le décide; 
  • la règle: elle est indispensable pour la structuration du jeu ; 
  • la frivolité :  il n’y a aucune conséquence sur la réalité, le jeu invite à de nouvelles expériences dans lesquelles on ne prend pas de risques qui freinent. On peut faire des propositions, se montrer créatif.  On peut se surpasser. Il répare les failles ( voir l’enfant et le handicap) ; 
  • l’incertitude : c’est le moteur du jeu. Le jeu n’est jamais deux fois pareil. On ne sait jamais à l’avance comment il va se dérouler et finir. 

Cette définition doit nous permettre de ne pas confondre de réelles situations ludiques et « des ruses pédagogiques » faisant appel à un support ludique. On dira qu’il n’y a pas de jugement de valeur entre les deux mais qu’il est indispensable pour un enseignant d’être clair dans ses choix.


Donald Winnicott (2), en tant que pédiatre, voit le jeu comme « spontané et universel » et il soutient que le" jeu est un tout qui a des vertus thérapeutiques en soi ». L'enfant qui joue est absorbé dans le jeu, il est investi de manière forte. L'enfant en tire une certaine satisfaction, tout en étant tendu.  Quand on interdit aux enfants de jouer, ils le font quand même. Ils utilisent toute la réalité autour d'eux pour en faire un jeu. Le jeu existe dans toutes les cultures, il est au service de l'être, il façonne le cerveau ; il aide l'enfant à prendre confiance, à apprendre, à communiquer, à créer, s'émerveiller...

Nicole de Grandmont (3) « Un jeu n’a pas besoin d’être esthétique, prédéterminé ou perfectionné ». 

 "Le jeu ludique"

Nicole de Grandmont est une partisane de la pédagogie ludique. Cette canadienne, auteur de plusieurs livres, est une source d’inspiration. Elle fait partie de la grande famille des chercheurs en pédagogie meilleure. Au Canada, la recherche sur la pédagogie et les jeux ludo-pédagogiques ont de l’avance. Trois familles se distinguent, le ludique, l’éducatif et le pédagogique. Là-bas, on parle de jeu ludique, même si ceci relève du pléonasme, nous en parlerons en ces termes dans cet article.

Selon Nicole de Grandmont, « le jeu ludique est libre et gratuit, essentiel au plaisir. (...) Il n’impose pas de règle, sert à structurer, organiser, élaborer son monde extérieur et intérieur, il favorise le développement intellectuel, affectif et psychomoteur. Le jeu crée des liens égaux avec le psychisme, l’émotif-affectif, le sensoriel, le cognitif ».

Bref le cerveau est largement sollicité. Le jeu est nécessaire au développement de tout individu. 

Autrefois, on jouait avec des bouts de ficelles et de bois. On était capable de créer une cuisine ou un restaurant dans un bac à sable, on s’imaginait Chevalier en courant dans les bois. Contrairement aux idées reçues, un jeu n’est pas obligatoirement beau, ou élaboré. Certains d’ailleurs se questionnent : pourquoi « acheter » des jeux à nos enfants ? Cela ne faisait pas avant, l’industrie du jouet existait mais son offre était limitée. Le poids de la guerre faisait que l’on offrait une orange, et c’était déjà bien. On avait une poupée, ou un jeu de soldats de plomb. Le reste, on l’inventait. Pourquoi acheter une maison de poupées à son enfant alors qu’il peut facilement la créer lui-même ?

« Contrairement aux idées reçues, le jeu ludique est riche en terme d’apprentissage, il influence un bon nombre des composantes de la connaissance : La motivation intrinsèque à la connaissance, à l’accomplissement, aux sensations. Et surtout il aide certains apprentissages comme:

- savoir gérer l’imprévu
- contrôler ses émotions
- explorer ses émotions
- développer sa motivation et sa curiosité »

Si l’enfant est trop assisté, comment apprendre à gérer l’imprévu ? Si les règles de jeu sont déjà préétablies, comment développer son imagination, et créer ses propres règles ? Interrogeons-nous sur le rapport de nos enfants aux jeux. Quels sont les jeux qu’ils utilisent qui n’ont pas de mode d’emploi ?




 Bernard Aucouturier "Du plaisir d'agir au plaisir de penser" (4)

Du jeu spontané au jeu réglé :

  • Lorsqu'il est spontané, il donne à l'enfant le plaisir de vivre ses sensations, ses émotions, de développer ses fantasmes. Il crée son monde et le domine, il peut ainsi apprivoiser les douleurs de la vie, s'ouvrir au monde de l'autre qui joue avec lui. Lorsqu'il y a des conditions de jeu (règles, "on dirait que"...),  l'enfant s'engage dans un processus de croissance, si nous n'y projetons pas nos désirs d'adultes.
  • Le jeu façonne son cerveau lors des premières interactions du bébé : dans le portage, le plaisir du corps à corps, l'ajustement des parents aux  sensations du bébé. Ce partage de soins entraîne une décharge hormonale (ocytocine, dopamine, sérotomine) qui influe sur le plaisir et inhibe les tensions. Cette libération permet la croissance du cortex pré-frontal, à l'origine de notre capacité à penser et réguler ses émotions. Cela agit comme un anti-dépresseur, qui tranquillise et prédispose aux équilibres émotionnels.
  • Le jeu aide à se représenter. Le tout-petit a un plaisir pulsionnel à se représenter par le jeu. Cette activité est au service de la vie.Cette représentation se fait par les premiers échanges avec ses parents qui lui restituent ses émotions en miroir : les sourires, les rires, les grimaces, les gestes en miroir... permettent au tout petit de se réapproprier ce qui lui appartient. Ce reflet va donner du sens à son vécu. L'enfant constitue ainsi sa propre identité, et finira par atténuer ce qui appartient à l'autre pour devenir lui-même. 
  • L'enfant se réassure par ses premiers jeux : il joue avec plaisir pour atténuer les tensions inévitables dans son développement. De l'angoisse qui le disperse, le désorganise, il va aller vers une unité intérieure par le jeu : les bercements, les caresses des parents vont apaiser ses angoisses. Les jeux de destruction et construction vont l'aider à retrouver un semblant d'unité. L'enfant va résoudre ses tensions dans le plaisir du jeu. 
  • Jouer pour apprendre : l'enfant joue pour le plaisir de sentir, de manipuler, de saisir au départ. Comme l'artiste, il est dans la pure sensation qui est non-verbale. En jouant avec l'aide de l'éducateur, il prend plaisir à construire comme il se construit. Au départ, c'est l'éducateur qui va mettre en mot, penser et aider à réfléchir l'enfant. Ensuite, il pourra lui-même représenter ses actions sans agir, se les représenter mentalement et ainsi développer sa capacité à penser.
  • Jouer c'est communiquer car en jouant, l'enfant communique avec ses pairs, avec l'adulte, dans le plaisir. En cherchant à affirmer sa toute puissance dans le jeu, il se confronte à ses pairs qui font de même. La communication est alors nécessaire.
 PLAISIR = sérotonine = hormone de la coopération = stimuler les relations  humaines = chercher à gérer les conflits  =  accélérer le langage
  • Jouer c'est aussi créer du merveilleux. 
Pour grandir en sécurité par le jeu, l'enfant s'identifie à des personnages qui l'aident à échapper à l'angoisse. Il est un autre dans ses jeux, il y puise sa confiance. La vie psychique est chaotique, faite d'inquiétude, d'angoisses, d'humiliation, de peurs. Les rôles que l'enfant s'invente sont des personnifications de son Inconscient. Il s'identifie à l'agresseur, à la victime, et sort plus sûr de lui pour mieux vivre ces personnages dans la réalité. L'enfant a besoin de vivre le merveilleux, l'imaginaire qui lui donnera de la souplesse pour ne pas prendre les événements de la réalité au premier degré.

  • La loi, le jeu

La loi fait exister le jeu. Les deux s'imbriquent. Lorsque l'enfant joue, il se donne des règles. C'est la loi qui crée le symbolique.

Le jeu aide donc à grandir : 

Au fur et à mesure, dans le jeu avec ses pairs et avec l'adulte,  l'enfant sortira de son égocentrisme. Le  jeu n'est donc pas à confondre avec l'infantile (5) . L'infantile a trait à la toute-puissance, à l'absence de règles et au jeu permanent. Se délivrer de l'infantile, c'est renoncer à être le centre du monde, comprendre que nos désirs ne sont pas des ordres, composer avec l'autre, rentrer en interaction avec la réalité (dont l'autre fait partie), c'est aussi coopérer pour construire un  projet commun. Coopérer c'est cesser d'être le nombril du monde.

Grandir nécessite de trouver un espace intermédiaire où l'enfant articule le désir et la règle, où il déploie son imaginaire dans un cadre défini, où il peut, sans risque expérimenter des actions dans et sur le monde. Que ce soit la marelle, les cubes, les mimes, un jeu de société... l'enfant expérimente, dans un espace donné, un rôle avec une règle, qui délimite s'il est "dans le jeu" ou "hors-jeu".

Certain enseignants disent "Les enfants ne savent pas jouer". En réalité, il s'agit pour certains d'apprendre à jouer en acceptant les règles, en régulant des comportements face aux autres, pour acquérir des habiletés sociales.

René Château « Le jeu est le travail de l’enfant »

Jouer ou travailler ?

Il s'agit bien de distinguer les deux. Même si le jeu développe des compétences utiles à l'apprentissage (entrée dans le symbolique, développement du langage, apprentissage des règles, coopération, déductions...), il ne doit pas être confondu avec des moments de travail bien identifiés. Le jeu est sans conséquences, il permet de s'exercer, de s'essayer, de se découvrir, d'inventer, de créer et d'élaborer des stratégies. Le travail permet d'obtenir un résultat, par l'effort et la concentration.

Merci à :
1 - Gilles Brougère "Le jeu peut-il être sérieux"
https://experice.univ-paris13.fr/wp-content/uploads/2015/02/Le_jeu_peut-il_tre_srieux__.pdf
2-  Donald Wood Winnicott : "Jeu et réalité ; l’espace potentiel", Gallimard, 1975.
3- Nicole de Grandmont Le blog Sylvie de Soye rend hommage à son travail.
4 - Bernard Aucouturier, Conférence au Congrès de la FNAREN de Limoges, juin 2019: http://www.ebppa.be/bernard-aucouturier/
5 - Philippe Meirieu "Le Désir et la Règle",  Entretien avec Yvana Ayme (paru en partie dans Les Cahiers pédagogiques, n° 448, novembre 2006)
http://www.meirieu.com/ARTICLES/desiretregle.pdf
https://atelier-edu.be/la-pedagogie-du-jeu/

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire