lundi 4 mai 2020

Confinement chez les enfants : "Transposer autant qu'on le peut la vie d’avant à l’intérieur"

Par Fiona Moghaddam



|La vie des enfants est généralement ponctuée de rituels. Des repères difficiles à conserver pendant le confinement. La psychanalyste Claude Halmos recommande alors de transposer le plus possible la vie d'avant à l'intérieur, tout en soutenant les enfants en ces moments bouleversants.Dans cette période inédite, "il est primordial d'écouter, de parler et d'accompagner les enfants", estime la psychanalyste Claude Halmos.

Photo prise à Besançon, le 21 mars 2020.• Crédits : Ludovic Laude - Maxppp


Entretien avec Claude Halmos, psychanalyste, spécialiste des enfants et autrice notamment de Dessine-moi un enfant (Le Livre de poche).

Qu’est-ce qu’un rituel pour un enfant ?

Un rituel est quelque chose qui se répète à l’identique, tous les jours, toutes les semaines ou à date fixe, et à quoi l’enfant est attaché. Il peut s’agir de vacances à tel endroit, de visites du dimanche à ses grands-parents, etc. Les rituels sont pour lui des repères. Parce qu’ils structurent le temps et parce que, la continuité de sa vie l’assurant de la permanence de son être (du fait qu’il est bien toujours le même), ils lui donnent un sentiment de sécurité. Dès lors, quand un événement, même sans gravité, vient soudainement bouleverser une routine rassurante (un incident, par exemple, sur le chemin entre l’école et la maison) l’enfant peut en être troublé, et même déstabilisé.

En fait, nous avons tous besoin, pour pouvoir, quoi qu’il se passe à l’extérieur, "nous retrouver", d’un tel sentiment de continuité de nous-mêmes. Et ce que nous vivons à l’heure actuelle, qui bouleverse toutes nos vies, nous bouleverse de ce fait, psychiquement, bien au-delà de ce que nous imaginons. Et les enfants sont particulièrement vulnérables car, étant des êtres en construction, le soutien des adultes leur est nécessaire pour supporter ce bouleversement.

En quoi les rituels sont importants pour les enfants ?

L’enfant investit les rituels consciemment et inconsciemment. Et il les investit du fait de leur fonction, que je viens d’évoquer. Mais aussi de leur contenu. Passer ses vacances chez ses grands-parents, quand on les aime, c’est à la fois retrouver leurs personnes, le lien particulier que l’on a à eux, leur mode de vie, leur maison, la trace de ce que l’on y a vécu au fil des années, etc. C’est retrouver des présences chaleureuses et des moments de joie, que l’enfant intériorise et dont il fait des points d’appui intérieurs.

Comment le confinement les perturbe-t-il ?

Ce qui se passe aujourd’hui pourrait être comparé à un tremblement de terre qui, en faisant vaciller nos existences, nous fait vaciller nous-mêmes. Tout être humain a besoin, pour tenir debout, de deux sols : un sol réel, sur lequel ses pieds reposent. Et un autre qui, symbolique, est constitué à la fois, par la place qu’il occupe dans son histoire familiale (transgénérationnelle) et par ce qu’il a construit dans sa vie présente (privée et sociale), sur quoi s’appuie son identité. Or aujourd’hui tout cela se fracture. Le confinement chamboule notre vie familiale, et nous prive de l’extérieur à cette vie que sont pour nous l’espace, et le temps de notre vie professionnelle et sociale. C’est une épreuve dont on ne mesure pas, pour le moment, l’importance.

Et cela l’est d’autant plus pour les enfants ?


Tout est toujours plus grave pour les enfants parce qu’ils sont, pour traverser ce qui leur arrive, dépendant des grandes personnes qui les entourent. Pour faire face aux problèmes, l’adulte peut s’appuyer sur l’expérience qu’il a déjà acquise dans sa vie et sur sa compréhension intellectuelle d’un certain nombre de choses. Et puis, il peut demander de l’aide. Un enfant n’a pas tout cela. Son expérience de la vie est trop limitée pour lui servir d’appui et il n’a pas un savoir suffisant pour comprendre ce qui se passe autour de lui. Il lui faut l’aide des grandes personnes. Mais s’il est accompagné par des adultes soucieux de l’entourer et de l’aider, il peut traverser toutes les épreuves. Et l’accompagner, cela veut dire deux choses. 
  • Cela veut dire d’une part mettre des mots sur la situation : la lui expliquer, écouter ce qu’il en dit (en l’invitant à s’exprimer "qu’est-ce que tu en penses, toi ?"), et l’aider à faire avancer les choses dans sa tête. 
  • Mais aussi, d’autre part, être là, physiquement, pour l’entourer de sa tendresse, de sa chaleur, de façon à ce qu’il ne se sente jamais seul : mettre son bras autour des épaules de son enfant quand on lui parle est aussi important que les mots. 
Si l’enfant est accompagné de cette façon, il peut affronter toutes les difficultés, et même en sortir plus fort, car cela l’aura aidé à se construire. Certains adultes racontent ainsi, en analyse, comment ils ont, soutenus par des adultes, et les voyant les vivre, surmonté des moments très difficiles. Et comment ces expériences leur ont servi, toute leur existence, de points d’appui, et permis plus tard de tenir bon, eux aussi.

Grace à ses échanges avec l’adulte, l’enfant comprend qu’il est une personne à part entière, qu’il compte et que l’on est là pour lui et avec lui. La pire chose qui puisse arriver à un enfant, c’est la solitude et même entouré de beaucoup de gens, un enfant peut être seul.

Justement, quelles seraient les conséquences pour des enfants pas ou peu entourés ?

Une angoisse trop importante, trop écrasante. Le confinement, aujourd’hui, fait subir à nos corps qu’il entrave (et plus encore à ceux des enfants) une contrainte, qui s’apparente à une violence : nous sommes enfermés, immobilisés. Et c’est bien sûr encore pire pour les familles confinées dans des espaces qui étaient déjà, en temps normal, trop petits. Le confinement nous contraint de plus à la promiscuité. Or, nous ne sommes pas faits pour rester, même si nous les aimons, 24 heures sur 24 avec nos proches. Nous avons besoin - et c’est vital - de pouvoir être seuls. Les enfants, aussi.

Nous sommes par ailleurs soumis à la peur permanente d’attraper une maladie que l’on ne sait pas, pour l’instant, guérir. Et tout cela sur fond d’informations terrifiantes et sans cesse répétées, sur les conditions de prise en charge dans les hôpitaux, le nombre des morts avérés, ou à venir, la façon dont ils seront inhumés.

Le monde extérieur est devenu dangereux, comme les personnes qui y circulent (et qui pourraient nous contaminer). Et la fin du confinement, qui pourrait apparaître comme une sortie du tunnel, est marquée, pour de nombreuses familles, comme d’ores et déjà leur vie présente, par la crainte d’une nouvelle "horreur économique" : "Vais- je retrouver mon entreprise, mon emploi, mon salaire ?"

Nous sommes donc, tous, confrontés à une masse - bien trop lourde - de peurs, liées à ces dangers tout à fait réels et d’angoisses (produites, chez chacun de nous, par ce que ces peurs – communes à tous et inévitables - font résonner, de nos histoires personnelles).

Et nous sommes d’autant plus désarmés pour faire face à tout cela, que – je l’expliquais déjà dans mon livre Est-ce ainsi que les hommes vivent ? (faire face à la crise, et résister) -, on ne nous a pas habitués à prendre en compte la légitimé de nos souffrances quand elles nous viennent, non pas de l’intime, mais de la société.

Or les enfants sont soumis, eux aussi, à tout cela. Ils sont privés d’une partie de leurs proches, notamment de leurs grands-parents, dont on leur dit qu’ils pourraient les contaminer. Ils sont privés de leur vie sociale (l’école, les copains), et de plus, il faut que nous en soyons conscients, traversés par tout ce que ressentent les adultes qui les entourent (ils le perçoivent, inconsciemment, toujours). Ils sont donc comme irradiés par une angoisse si forte qu’elle fait même vaciller leurs aînés et sans pouvoir souvent, leur en parler. Par peur d'accroître encore leurs difficultés, mais surtout parce qu’un enfant ne peut pas, sans aide, avoir suffisamment de recul pour prendre conscience de ce qu’il vit. Et puis il y a les enfants malheureux pour qui l’école, les copains, les enseignants sont d’habitude un moyen de souffler. Ceux pour qui, parce qu’ils appartiennent à un milieu défavorisé et n’ont pas accès à internet, l'école a complètement disparu. Et, pire encore, les enfants maltraités, soumis désormais jour et nuit, à leurs bourreaux.

Ce confinement met en lumière des problèmes de notre société qui étaient depuis longtemps criants, mais qui, aujourd’hui, se sont mis à hurler et c’est terrible… 

Sur le long terme, le confinement peut-il avoir des conséquences sur les enfants ?

Bien sûr, comme sur les adultes. Il peut les laisser dans un état comme d’après trauma, induire des fragilités, etc. Mais il est possible de les aider ! Et pour cela, il n’y a pas besoin d’un manuel de psychologie ou d’un "psy". Il y a besoin, seulement, de personnes à l’écoute. Il faut que les parents sachent que ce n’est pas parce qu’un enfant est petit qu’il a de petits problèmes, de petites douleurs, de petites peurs, ou de petites joies.

Les enfants ont des douleurs, des souffrances, des joies et des peurs qui sont à la mesure de ce qu’ils sont, et donc, proportionnellement, aussi fortes que les nôtres. Ils ont donc besoin qu’on ne leur cache pas la vérité, mais qu’on la leur explique. En posant que les adultes, ensemble, se battent pour la changer, que l’on va y arriver ; et qu'en attendant, il faut faire en sorte de "fabriquer", dans chaque maison, une vie aussi agréable que possible. 

Parce que les petites joies de tous les jours : un brin d’herbe, une histoire que l’on raconte, une attention, un sourire, sont des médicaments qui, eux aussi, au quotidien, nous soignent.

C’est une manière de remplacer les rituels ?

On ne peut pas remplacer les rituels, mais on peut continuer à les faire exister, par la parole : "C’est l’heure à laquelle d’habitude tu vas au judo. Comme ce sera bien quand tu pourras y retourner !" On nomme les rituels qui ne peuvent avoir lieu. Non pas pour pleurer leur absence mais, au contraire, pour assurer l’enfant qu’elle n’est que momentanée et maintenir ainsi la continuité de ses repères. 

 Par rapport aux visites chez les grands-parents, il est important d’expliquer aux enfants la dangerosité du virus pour les plus âgés, et de mettre en place des rendez-vous réguliers, vidéos ou téléphoniques. Ou, si ce n’est pas possible, de leur proposer de dessiner pour leurs grands-parents, le jour où on leur rend habituellement visite. Puis d’envoyer les dessins par courrier, ou de les garder pour les leur donner, une fois le confinement levé : un cadeau magnifique, qui leur fera tellement plaisir !

Il faut préserver les rituels et de façon plus générale, essayer de transposer à l’intérieur, autant qu’on le peut, la vie que l’on avait auparavant. Il faut organiser, et structurer les journées : temps d’activités scolaires, physiques, de loisirs, de communication avec les autres, etc. Et puis il faut aussi s’habiller, comme si l’on allait travailler, ou à l’école, cela fait partie des rituels. Et pour insignifiants qu’ils paraissent, ces rituels sont de minuscules points d’appui, de minuscules rambardes qui, ajoutées les unes aux autres, nous aident à tenir debout.

Donc la solution pour s’en sortir dans cette crise, c’est de parler et d’écouter les enfants ?

Les enfants ont besoin, pour se sentir épaulés, de savoir qu’une personne est là, prête à les écouter et à leur parler ; que l’on peut aborder, avec elle, tous les sujets, qu’aucun n’est interdit, et qu’ils ne lui feront pas de peine en parlant. 

Précision importante car les enfants essaient toujours de protéger, voire de soigner les adultes et en premier lieu leurs parents, surtout s’ils les sentent angoissés, ce qui est, en ce moment le cas. Il est donc important de reconnaître ses propres craintes, d’en expliquer la légitimité (comment ne serait-on pas inquiets en un tel moment ?) mais, en même temps, de rassurer les enfants en leur expliquant que les grandes personnes sont à même de gérer la situation, en s’appuyant les unes sur les autres et de continuer à les protéger. Ils peuvent donc vivre et dormir tranquilles et ne pas hésiter à énoncer leurs peurs, pour qu’on les aide à les chasser.

Le virus rôde, mais on lui fait la guerre. Et cette guerre on peut même, dès aujourd’hui, en faire des petites histoires ou des dessins que l’on pourra, quand elle sera finie, regarder tous ensemble, pour se souvenir, et se réjouir qu’elle soit enfin terminée.

À LIRE AUSSI

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire