mercredi 1 février 2023

Comprendre et accompagner les émotions de l’enfant

Article de Delphine Leca, psychologue et psychothérapeute

Développement cérébral:

Pour mieux comprendre et accompagner les enfants dans la gestion de leurs émotions, il me semble essentiel de connaitre la façon dont se développent les différentes formes de compétences dans le cerveau humain:

– De façon très schématique, on peut dire que celui-ci se divise en trois grandes zones –



– LE CERVEAU REPTILIEN (Cervelet) correspond à la partie archaïque du cerveau, situé à l’arrière du crâne, il permet toutes les fonctions vitales primaires (respirations, pression artérielle, rythme cardiaque, coordination, équilibre, sommeil…) et déclenche, face au danger des réactions physiques instinctives, impulsives (instinct de survie) et des réflexes d’attaques ou de fuites → Cette partie du cerveau est mature dès la naissance

– LE CERVEAU LIMBIQUE (ou cerveau émotionnel) permet la reconnaissance et l’évaluation de la valence émotionnelle, il a également une fonction essentielle dans la mémoire et les apprentissages. Il joue un rôle de régulation des instincts primitifs de survie, engendrés par le cerveau reptilien → il grandit essentiellement entre le 15 eme mois et les 4/5 ans de l’enfant, bien connecté vers 6/7 ans, et réellement mature qu’aux alentours de 15 ans.

LE CERVEAU SUPERIEUR (ou néocortex) enveloppe le cervelet et le cerveau limbique et participe aux fonctions cognitives dites « supérieures »: conscience, langage, capacités d’apprentissage, perceptions sensorielles, commandes motrices volontaires, présence dans l’espace. Il se divise en quatre lobes: frontal, pariétal, temporal et occipital.

Le lobe frontal est particulièrement développé chez l’humain, il nous différencie des grands singes, en nous rendant « intelligent ». Il permet réflexion, raisonnement, créativité, imagination, résolution de problèmes, planification, conscience de soi, empathie. Il participe au contrôle rationnel des émotions en les réévaluant et en les tempérant → Celui ci ne sera vraiment mature qu’aux alentours de 25 ans.

Et oui, ne jamais perdre de vue que l’enfant n’est pas un adulte en réduction mais bien un être en construction, « les structures et les réseaux cérébraux [de son cerveau ne sont donc] pas encore suffisamment fonctionnels ». Son cerveau est alors « fragile, malléable, vulnérable et immature ». 

C’est pourquoi, ce que nous interprétons souvent comme des caprices ou des troubles du développement pathologiques chez les enfants sont en fait la conséquence de l’immaturité de leur cerveau. L’enfant se retrouve régulièrement en proie à de véritables « tempêtes émotionnelles » qui le submergent et qui donnent lieu à des comportements impulsifs/réflexes initiés par le cervelet (cerveau reptilien/archaïque) seule partie mature de son cerveau.

Ce n’est que vers l’âge de « 5/6 ans, [que] l’enfant commence donc à contrôler un peu mieux ses émotions négatives, à comprendre leurs causes et à savoir les surmonter » … (C. Gueguen)


Lorsque l’enfant n’est pas consolé, rassuré, pris en compte dans son émotion, son cerveau va sécréter de façon excessive des molécules de stress (cortisol, adrenaline…) extrêmement toxiques pour son cerveau en développement. C’est pourquoi, il est particulièrement important de faire preuve d’empathie. Envers soi même d’abord (sentir et comprendre nos propres émotions) et envers son enfant (entendre, ressentir, comprendre ses émotions):
  • Exprimer ses émotions est toujours bénéfiques (exprimer ses émotions négatives contribue à apaiser la sécrétion de molécules de stress, par l’amygdale cérébrale, qui est le centre de la peur)
  • Exprimer ses propres émotions devant son enfant
  • Aider l’enfant à exprimer ses émotions et à les reconnaitre
"Consoler un enfant ‘chamboulé’ participe à la maturation de son cerveau « … (C. Gueguen)


Plasticité cérébrale: 


On sait aujourd’hui que le développement du cerveau (qui est plastique) évolue, se modifie en fonction des expériences vécues par le sujet et ce de façon particulièrement accrue pendant les 6/7 premières années de vie. On a pu découvrir, très récemment que l’expression des gènes était elle-même influencée par l’environnement (l’ensemble de nos comportements quotidiens), c’est ce que l’on appelle l’épigénétique.

C’est la raison pour laquelle il est essentiel de favoriser les bonnes expériences relationnelles dans les premières années de vie de l’enfant pour lui permettre de développer « une intelligence émotionnelle et sociale » et pour lui éviter « des perturbations physiologiques cérébrales et même structurelles, qui lorsqu’elles sont installées, sont souvent à la base de difficultés affectives durant l’enfance, l’adolescence et à l’âge adulte » * (C. Gueguen)

Lorsque l’enfant n’est pas reconnu dans ses émotions, qu’on lui interdit de les exprimer, il va se couper de celles-ci , se « déconnecter » de ses ressentis pour éviter de souffrir. Il risque alors de ne pas développer de façon satisfaisante les connexions cérébrales nécessaires à la maîtrise de ses émotions.

 En grandissant, il risque alors de rencontrer des difficultés à « comprendre et maitriser ses émotions », d’être « sujet à des crises d’angoisses, d’agressivité ou de dépression », d’être « incapable de lier des liens d’affections » satisfaisant, d’être « incapable d’éprouver de la compassion pour autrui »…

[Une étude de 2011 proposé par Emil Coccaro, professeur de psychiatrie à l’université de Chicago a clairement mis en évidence un lien entre adultes violents et cortex préfrontal hypoactif ] .

La répétition de l’activation des bons, ou des mauvais circuits cérébraux va alors avoir un effet vertueux, ou vicieux sur le développement de l’enfant…

Qu’appelle t-on « émotions »:


Il s’agit d’abord d’une manifestation interne qui va ensuite générer une réaction extérieure automatique. Les émotions primaires ou émotions de base sont la joie, la peur, la colère, la tristesse, la surprise et le dégoût. Ces émotions permettent de nous renseigner sur notre état et de nous guider vers la satisfaction de nos propres besoins. Elles ont aussi une fonction de signal social en nous permettant de communiquer aux autres notre état intérieur.

Les émotions « désagréables » sont souvent dévalorisées, vécues à tord comme des faiblesses ou des obstacles par rapport à la raison. Or, sans émotions nous ne pouvons pas fonctionner: nos décisions ne sont jamais entièrement rationnelles mais toujours orientées, dictées par nos émotions (même si nous n’en avons pas toujours conscience).

D’autre part, il n’existe pas de bonnes ou de mauvaises émotions: les émotions sont toujours légitimes et indispensables (ex: la peur va nous informer d’un danger, le cerveau va alors sécréter des hormones de stress cortisol, adrénaline ce qui va nous permettre d’accroitre notre niveau de vigilance, de courir plus vite… )

En outre, sans émotions: l’art n’existerait pas (littérature, musique, peinture…) et les apprentissages seraient inopérants…

Comment accompagner l’enfant dans ses émotions?


Le but n’est pas de stopper la crise émotionnelle mais de l’accompagner. Toutes les colères sont légitimes, elles ne sont jamais volontaires ni préméditées (l’enfant ne fait pas une colère, il est en colère). Il est important que l’émotion puisse s’exprimer, être reconnue et acceptée par l’adulte. L’enfant a parfaitement le droit d’être en colère, d’avoir peur, d’être triste…

C’est en apprenant à nos enfants à vivre avec leurs émotions (et non à les réprimer) que nous leur permettons de développer leur intelligence émotionnelle, qui correspond à « l’habileté à percevoir et à exprimer les émotions, à les intégrer pour faciliter la pensée, à comprendre et à raisonner avec les émotions, ainsi qu’à réguler les émotions chez soi et chez les autres » (Mayer & Salovey, 1997).

CE QU’IL FAUT ÉVITER: (inefficace et contre-productif: aggrave l’intensité de l’émotion et génère une libération excessive de molécules de stress)

  • Nier l’émotion ou la minimiser
  • Culpabiliser: « tu n’as pas à être en colère! » « ce sont les bébés qui pleurent pour ça… »
  • Donner des conseils ou faire la morale
  • Contagion émotionnelle: répondre à la colère par la colère (petit problème de cohérence…)

CE QU’IL FAUT PRIVILÉGIER
:

  • Se connecter à l’émotion: il s’agit d’abord de se brancher, se connecter à l’émotion de l’enfant sans en avoir peur et sans la prendre pour la nôtre: dans le contact mais en silence.
  • Pratiquer le « reflet émotionnel »: puis poser des mots en reflétant l’émotion que vit l’enfant: « je vois que tu es colère et que c’est compliqué pour toi. Je comprends que ce soit frustrant de devoir attendre ton tour… » 
  • Eviter tout jugement ou commentaire.
  • Proposer des outils: pour créer une médiation entre l’enfant et son émotion, pour lui permettre de mettre un peu de distance entre l’émotion et sa réaction:

– Le coin à émotions: un gros pouf (type poire) pour permettre à l’enfant de se lover dedans pour retrouver une certaine unité, contenance ; une table et chaise avec des feuilles à disposition pour que l’enfant puisse exprimer son émotion à travers le dessin (dessin de la colère) …

– Le sac à émotions: pour permettre à l’enfant d’y déposer symboliquement sa colère/tristesse au moyen de petits objets symboliques représentant chaque émotion et préalablement réalisé ou du moins investi par l’enfant.

Le sac à cris: proposer à l’enfant de crier devant un petit « sac à cris » pour y mettre sa colère et l’aider à contrôler ses cris. Il a le droit de crier, mais on lui propose une autre façon de le faire en redirigent ses cris, sa colère « dans » le sac. Cela peut aussi s’envisager avec « une cabane à cris »un lieu préalablement choisi avec l’enfant, dans lequel il est libre de crier comme il le souhaite…

– Les plumes ou la paille: l’interêt est de permettre à l’enfant de souffler pour l’aider à mieux respirer. La respiration lui permettant de s’apaiser. Il s’agira soit de souffler sur des plumes, soit de souffler dans une paille plongée dans un verre d’eau… (ex: pour les plumes: on peut proposer à l’enfant de créer un « bonhomme en colère » qu’il pourra nommer du nom de son choix avec une boule de polystyrène, un visage mécontent dessiné dessus et des plumes plantées au sommet de la tête, et dont il pourra se servir librement lors de ses colères)

Le coussin de colère: l’enfant a le droit de le taper, de le mordre, de le jeter… pour évacuer ce tsunami émotionnel qui le submerge.

Le punching-ball: sur le même principe que le coussin, il va permettre à l’enfant de décharger ses tensions. On lui indique qu’il a le droit de taper (mais seulement sur le punching ball).

La balle anti-stress DIY: même objectif, elle permet à l’enfant de la serrer très fort, de diriger toute sa colère sur cette balle. (Très simple à réaliser à l’aide de 2 ballons de baudruche et un peu de riz: on découpe l’extrémité des ballons/on forme une boule de riz que l’on enferme dans un petit sac de congélation/on insère le sac de riz dans le premier ballon que l’on recouvre ensuite par le second. Il ne reste plus qu’à dessiner une tête en colère)

Pour les enfants un peu plus âgés, on peut leur proposer des outils pour leur permettre davantage d’identifier et de nommer leurs émotions et leurs sentiments:

les cartes des émotions

– les visages des sentiments

– la boussole des émotions

Enfin, une méthode fabuleuse pour aider les enfants à vivre avec leurs émotions et à apprendre à les accepter et à mieux les maitriser: LA MEDITATION. Un super ouvrage: « calme et attentif comme une grenouille ».

Il est possible d’inventer et de réaliser toute sorte d’outils avec les enfants, ensuite, à chacun de trouver celui ou ceux qui conviendront le mieux

* NB: Rassurez-vous, par le fait même de cette plasticité cérébrale, il est possible de corriger par la suite d’éventuelles carences ou difficultés rencontrées dans la petite enfance, si celles-ci n’ont pas été trop importantes et n’ont pas duré trop longtemps. Rien n’est figé, le cerveau est un organe plastique, modifiable jusqu’à la fin de nos jours…


  • « Pour une enfance heureuse », C. Gueguen, Ed. Robert Laffont (désormais disponible en format de poche)
  • Conférences proposées par C. Gueguen: « enfant et apprentissage »;  « Empathie et neurosciences affectives et sociales »; « Pour une parentalité sans violence »; « Ce que nous apprenne les recherches en neurosciences sur le développement émotionnel et affectif de l’enfant ». 

Photo d’illustration trouvé sur le site « parentstakecharge.com »

mercredi 21 septembre 2022

Des espaces de parole à l’école. Quels enjeux, quelles pratiques ?





Depuis environ 10 ans, une attention de plus en plus grande est portée sur les moyens de créer un climat de bien-être dans les écoles, les collèges et les lycées. Le long confinement a confirmé de manière significative, et à l’échelle nationale, l’intérêt de créer des espaces et des temps de parole pour que les élèves puissent s’exprimer dans un cadre sécurisant.

Ecouté, entendu dans ce qu’il veut dire, dans ses besoins fondamentaux et ses désirs, l’élève se sent considéré comme un « interlocuteur valable ». C’est une formidables occasion de désamorcer les tensions, de construire des liens de confiance et de développer son ouverture et son empathie.

L’ ouvrage collectif « Des espaces de parole à l’école. Quels enjeux, quelles pratiques ?« , coordonné par Christophe Marsollier, inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche, se donne pour objectif de rassembler les analyses de chercheurs et les témoignages et les analyses de pratiques d’une quinzaine d’enseignants, conseillers principaux d’éducation, formateurs autour de dispositifs spécifiques pour favoriser l’expression des mots et des maux.


Catherine Schmider, formatrice certifiée du CNVC et fondatrice de Déclic CNV & éducation, l’association spécialisée dans la diffusion de la CNV dans le domaine de l’éducation, a rédigé un chapitre sur les systèmes et cercles restauratifs, comme espaces d’écoute pour vivre les conflits autrement. Cette approche, développée par Dominic Barter, permet de mettre en place dans une structure les moyens de traverser les conflits d’une manière constructive, et offre ainsi une alternative au système punitif.

jeudi 15 septembre 2022

« Tu m’énerves quand tu fais ca ! »

 

article du blog "les ateliers Gordon"

S’affirmer face à un comportement qui me pose problème


Lorsque notre enfant a un comportement qui nous pose problème, nous avons bien souvent du mal à nous affirmer de manière appropriée. Et ça peut donner « Tu m’énerves quand tu fais ça ! », accompagné parfois de noms d’oiseaux plus ou moins exotiques... Et là, contrairement à ce que nous espérons, notre réaction engendre la plus grande indifférence apparente de l’autre ou provoque un conflit.

Comment faire autrement ? Comment indiquer à mon enfant que son comportement ne me convient pas sans être agressif ? Comment l’inciter à changer sans lui faire perdre la face ou lui faire éprouver du ressentiment à mon égard ?


Lorsque le comportement de notre enfant nous pose problème, nous sommes contrariés, énervés ou en colère parce qu’il fait quelque chose qui nous empêche de satisfaire nos besoins.

  • Par exemple, votre aîné qui s’était porté volontaire pour aller chercher son petit frère à l’école n’a pas rempli son engagement, vous êtes dérangé au milieu de votre réunion pour aller le chercher de manière précipitée.
  • Ou encore, votre fils laisse dans le salon ses chaussures pleines de terre et ses affaires de sport alors que vous avez des invités.
Dans de telles situations, nos besoins ne sont pas satisfaits. Nous voulons nous aider nous-mêmes. Cela signifie que nous devons nous affirmer, nous dévoiler, donner à notre enfant des informations qui l’aideront à comprendre en quoi son comportement nous pose un problème, afin qu’il modifie son attitude. Voici deux manières de le faire :

En évitant les messages blessants et les “messages-Tu"

En formulant ce que Thomas Gordon appelle des “messages-Je de confrontation”

1. Eviter les messages blessants et les « messages-Tu »

Tout d’abord voyons comment éviter les messages blessants et les « messages-Tu ».

Parfois, lorsque nous avons un problème et que nous sommes contrariés, nous accusons l’autre en utilisant des paroles blessantes ou jugeantes. Les cris et les mots blessants, qui sont d’usage fréquent dans notre culture, ont malheureusement des effets négatifs, ils créent une relation tendue, « électrique » et ne permettent pas de résoudre les problèmes.

Si je veux communiquer de façon positive et résoudre les problèmes de manière constructive, j’évite le plus possible les attitudes et les mots blessants.

Voici quelques attitudes à éviter :
- Les cris,
- Les insultes,
- Le ton ironique,
- L’absence d’attention
ex : Je ne regarde pas mon enfant ou je suis sur mon téléphone pendant qu’il me parle,
- Juger mon enfant et non son comportement
ex : Tu es égoïste ! au lieu de « tu pourrais ranger tes affaires de sport dans ton placard»,
- Minimiser ce que l’autre ressent
ex : Mais non, ce n’est pas grave, vous allez vous réconcilier demain ! (quand mon enfant est désemparé après s’être disputé avec son ami) ,
- Généraliser le comportement
ex : Tu ne ranges jamais rien ! (au lieu de « tu n’as pas rangé tes affaires de sport »),
- Comparer les enfants entre eux
ex : Ta sœur, elle, n’aurait jamais laissé le salon dans cet état !
- Critiquer, faire des reproches
ex : C’est toujours pareil ! Il n’y a pas moyen de garder une maison propre et rangée avec toi !
- Menacer
ex : Si ça continue, je vais te priver de foot ou t’envoyer en pension !

On gagne aussi à éviter les messages-Tu car ils rejettent la faute sur l’autre personne et disent dans les grandes lignes « Tu as tort », « tu es injuste », « tu devrais être plus responsable », « c’est de ta faute », « voici ce que tu dois faire ».

Dans mon exemple, cela pourrait être : “Tu n’es pas le seul à utiliser le salon, tu abuses vraiment de toujours laisser cette pièce en bazar !” ou « tu comptes ranger et nettoyer un jour ?”

Les messages-Tu vont particulièrement contrarier l’autre personne sans pour autant nous aider à obtenir ce dont nous avons besoin ou envie.

En résumé, les Messages-Tu :

✓ sont le plus souvent pleins de critiques et de jugements,
✓ attaquent l’estime de soi de l’autre,
✓ rejettent la faute sur l’autre,
✓mettent presque toujours l’autre sur la défensive et peuvent générer des argumentations ou des disputes,
✓ nuisent à la relation,
✓ ne facilitent pas la résolution d’un problème.

Lorsque je suis confrontée à un comportement qui me pose problème, je peux déjà commencer par porter mon attention aux mots que j’emploie en évitant les mots et attitudes blessantes ainsi que les messages-Tu.
Je peux aussi formuler un message-Je de confrontation.


2. Le message-Je de confrontation


Lorsque nous avons un problème avec une personne, nous aurons plus de facilité à initier un changement de comportement si nous lui disons nos pensées et ressentis de façon claire, directe, et sans accusation. Il est important d’assumer nos pensées, besoins et ressentis, et d’apprendre à les exprimer à nos enfants lorsque leurs comportements entrent en interférence avec la satisfaction de nos besoins. Thomas Gordon a appelé cela un « Message-Je de confrontation ».

Cela peut être difficile, nous sommes tous réticents à dire aux autres que leur comportement nous pose un problème. Et personne n’aime entendre cela. Nous craignons qu’ils se sentent blessés, se mettent en colère ou ne comprennent pas. Pour certains, cette appréhension est si présente qu’ils évitent tout simplement la confrontation. Le problème n’est ni traité ni résolu. L’autre personne est laissée dans l’ignorance du problème et nous développons du ressentiment à son égard.

Au contraire, le message-Je fait savoir à mon enfant ce qui m’arrive et ce dont j’ai besoin. Il n’accuse ni ne rabaisse personne et ne dit pas à l’autre ce qu’il doit faire.

Dans le message-Je de confrontation, je vais décrire :
1. Le comportement qui me pose problème
2. Les conséquences concrètes que ce comportement provoque chez moi
3. Mon ressenti

COMPORTEMENT / EFFETS / SENTIMENT : ces trois parties peuvent se positionner dans n’importe quel ordre, bien que cet ordre soit souvent le plus efficace.


  • Premièrement, la description du comportement : c’est uniquement ce que je pourrais filmer ou enregistrer. Les sentiments intérieurs, interprétations, jugements, pensées, ou suppositions ne sont pas des comportements car nous ne pouvons pas les observer directement, factuellement. Je décris factuellement sans être accusateur.
Ex. si je dis « tu agis vraiment comme un égoïste » : c’est un jugement
Si je dis « Tu laisses au salon tes chaussures pleines de terre et tes affaires de sport. Il y a de la boue sur le tapis.» : je décris le comportement

  • Ensuite, nommer les conséquences concrètes que le comportement de l’autre a sur moi : cela lui permet de se rendre réellement compte de la manière dont son comportement limite ou empêche la satisfaction de mes besoins. Les personnes peuvent mieux nous comprendre et s’identifier à notre problème. Les conséquences concrètes sont les effets réels et directs que nous n’apprécions pas ou que nous ne voulons pas avoir à subir : nous prendre du temps, de l’énergie ou de l’argent, nous empêcher de faire quelque chose, nous demander davantage de travail, nous fatiguer, nous faire mal physiquement ou nous donner de l’inconfort.
Ex : perte de temps et d’énergie pour ranger et nettoyer le salon avant que les invités n’arrivent, nous mettre en retard pour commencer à préparer le repas avec le risque de ne pas avoir le temps de finir à temps.
  • Troisièmement, mon ressenti : c’est une sensation que nous éprouvons en réaction au comportement de l’autre personne et que nous éprouvons dans notre corps (et pas dans notre tête).
Ex. je suis agacée, je crains de ne pas pouvoir finir, je crains de ne pas récupérer le tapis sali.

  • Ainsi, dans mon exemple, le message-Je pourrait être :
Lorsque tu laisses au salon tes chaussures pleines de terre et tes affaires de sport alors que j’attends des invités, je suis agacée car je perds 15 à 20 minutes à ranger et nettoyer. Je suis en retard pour commencer la préparation du dîner, et je crains de ne pas finir à temps.

Le message-Je de confrontation est donc une manière de dire aux autres, sans les agresser, que leur comportement nous pose un problème.
Puisque le message-Je n’accuse pas l'autre, il est moins susceptible de se mettre sur la défensive, et nous avons plus de chance de le voir coopérer.


Par Edwige Grouin, Formatrice Gordon accréditée


https://www.facebook.com/edwigegrouinateliers

mercredi 2 décembre 2020

Ecran en veille, Enfant en éveil

un article des ateliers Gordon

 https://www.lesateliersgordon.org/post/ecran-en-veille-enfant-en-éveil

Blog Comme en Famille

Les écrans, leur utilisation, le temps passé à les regarder, l'âge des enfants sont des indicateurs qui sont surveillés de près par les scientifiques et qui nous préoccupent en tant que parents. En même temps les écrans font partie intégrante de notre quotidien et peuvent aussi être des alliés dans la dynamique familiale.


Pas simple de s'y retrouver... Comment trouver le bon équilibre tout en gardant une harmonie au sein de la famille ?

A travers cet article nous allons répondre à 5 questions que nous nous posons fréquemment :
Quels sont les impacts sur la santé ?
Quel écran pour quel âge ?
Combien de temps d'utilisation et quelles précautions ?
Comment gérer les écrans au quotidien ?
Et les parents, on en parle ?

Et retrouvez également à la fin de l'article, une conférence vidéo faite par Clarence Henry-Delhumeau, formatrice Gordon.


1 - Quels sont les impacts sur la santé ?







2 - Quels écrans pour quel âge ?





3 - Combien de temps peut-on laisser nos enfants regarder les écrans et quelles précautions ?









4 - Comment gérer les écrans au quotidien ?

a. Les quatre points essentiels :

  • Pas d'écrans le matin. Ils perturbent l'attention de nos enfants.
  • Pas d'écrans durant les repas. Profitons des repas pour partager en famille.
  • Pas d'écrans avant de s'endormir. La lumière bleue retarde l'endormissement.
  • Pas d'écrans dans la chambre. Gardons le contrôle sur la durée et le contenu.

b. Impliquer nos enfants dès que possible

Aujourd'hui les écrans font partie intégrante de nos quotidiens. L'importance de limiter leur utilisation n'est plus à démontrer. L'enjeu en tant que parent est alors de sensibiliser nos enfants au danger que les écrans représentent et qu'ils puissent être acteurs de leur consommation. Il est important de sortir de la lutte de pouvoir qui ne va susciter qu'incompréhension et donc comportements déviants.

Comment rendre nos enfants acteurs?


Prendre un temps d'échange en famille prévu et décidé en avance afin d'établir les règles d'utilisation des écrans pour chaque membre de la famille.


Vous pouvez montrer aux enfants les affiches de cet article.
Voici également un tableau permettant aux enfants de noter le temps passé aux diverses activités.

c. Développer d'autres activités à faire en solo ou à partager.

Rappelons-nous que lorsque l’enfant utilise un écran, son cerveau ressent beaucoup de plaisir et se focalise sur l’objet qui apporte ce plaisir. L’enfant a donc besoin de nous pour lui rappeler, habilement, la joie qu’il éprouve également pour les autres activités qu’il a oubliées momentanément. Cet outil va nous aider à négocier avec nos enfants le partage de son temps entre toutes les possibilités qui sont à sa portée : sports, jeux de plein air, amis, musique etc.


5 - Et les parents, on en parle?


Les Ateliers Gordon, comme d’autres acteurs de la Parentalité, veulent aujourd’hui lancer un cri d’alarme sur la place prise par ces objets dans nos vies de PARENTS, au détriment parfois de la relation et de la communication avec NOS ENFANTS.

Parce que l’on sait l’importance du lien avec son enfant : le regarder, lui parler, le toucher, être juste en connexion avec lui pour nourrir ses besoins de sécurité, de lien et d’affection. Parce qu’un enfant a BESOIN de ces signes de reconnaissance, d’être dans l’interaction. Parce que les neurosciences démontrent que le cerveau de l’enfant se développe de façon plus favorable lorsqu’un climat d’empathie et d’attention lui est donné.



Rappelons que la communication, englobe tous ces temps d’échanges verbaux et non verbaux, des regards, des gestes, un sourire, une attention à l’enfant.

Et qu’il a besoin de cela pour SE CONSTRUIRE et BIEN GRANDIR !

Lire l'article.


Pour aller plus loin...

SITES INTERNET


Lâche ton écran : www.lachetonecranasso.fr
Mon enfant et les écrans : cliquez ici
Le bon usage des écrans : lebonusagedesecrans.fr Vous y trouverez des quizz pour tester vos connaissances sur les écrans.


VIDEOS


Emission "Générations écrans, génération malade?" diffusé sur Arte - 52 minutes.
Intervention dans La maison des maternelles du Dr Duccanda " Les dangers des écrans pour les jeunes enfants" - 7 minutes
Intervention dans La maison des maternelle du Dr Duccanda "Tout-petits : alerte aux écrans!" - 7'
Intervention de Michaël Stora "Faire des écrans nos alliés dans la dynamique familiale" - 6'42


PODCAST


Emission de France Inter le Code a changé : "Sommes-nous vraiment en train de créer des crétins digitaux?" 47'


BIBLIOGRAPHIE

Vous trouverez dans cette bibliographie trois thématiques :

- les écrans et leurs conséquences.

- des idées d'alternatives aux écrans.

- sensibiliser les enfants et les ados.





dimanche 1 novembre 2020

EDUCATION ET CNV


L’association Déclic-CNV Education promeut la CNV dans les structures éducatives et auprès des familles. Sur son site, vous trouverez un large panel d’outils (vidéos, dossiers, articles) et des Webinaires gratuits ou payants.
A regarder notamment, la vidéo « Ces profs qui changent l’école ».
Une soirée d’échange avec Charlotte, l'enseignante du film, est prévue le 4 novembre à 20h30 par Zoom.



La pleine conscience

 Un article de Scholavie

La pleine conscience représente une véritable alliée en cette nouvelle période de confinement et de troubles ! 

« Il existe aujourd'hui un nombre croissant de travaux montrant l'intérêt de la méditation de pleine conscience auprès des enfants, pour l'équilibre émotionnel, les capacités de résilience, la qualité des échanges familiaux et les capacités attentionnelles, notamment dans le travail scolaire et les apprentissages »

Christophe André



Qu'est-ce que la pleine conscience ?

La pleine conscience est un « état de conscience qui résulte du fait de porter son attention, intentionnellement, au moment présent, sans jugement, sur l’expérience qui se déploie moment après moment » (Baer, Smith, & Allen, 2004). 


C'est aussi :

  • Tout simplement être avec soi, connecté à tous ses sens, une manière d’être ouvert à notre expérience telle qu’elle se présente à nous, d’instant en instant.
  • Un remède contre le stress, une pause pour apprécier le moment présent, un entraînement de l’esprit dit Matthieu Ricard. La pratique est essentielle, l’entraînement régulier nécessaire.
  • Apprécier sa vie et ses petits plaisirs, et se préparer à vivre au mieux les périodes difficiles, avec énergie et ressources.
  • Se libérer de nos pensées, qui ne sont que des pensées.
  • Une pratique (ou plutôt un ensemble de pratiques) laïque et contemporaine, validée par la recherche scientifique.


La pleine conscience, ce n’est pas arrêter de penser. Impossible, le cerveau en est incapable. Il ne s’agit pas de faire le vide : le rien en méditation est toujours plein. Il s’agit plutôt de faire de l’espace, de la place. Ce n’est pas non plus se couper du monde. C’est une manière de s’ancrer dans la relation à soi, à l’autre, au monde.

Pourquoi pratiquer la pleine conscience ?





De multiples bienfaits de la pleine conscience ont été documentés par de nombreuses recherches menées depuis trois décennies.

Elle permettrait notamment de contribuer à : 


  • Reconfigurer les interactions entre les régions du cerveau (par exemple, de renforcer les connections entre les régions impliquées dans l’attention).
  • Améliorer la santé physique et prolonger la vie.
  • Lutter contre la douleur chronique, le stress et l’anxiété.
  • Soigner la dépression et prévenir les rechutes.
  • Diminuer les risques d’épuisement professionnel.
  • Corriger le déficit d’attention avec hyperactivité.
  • Réguler les comportements alimentaires.
  • Améliorer le fonctionnement cognitif et mieux le connaître.
  • Stimuler la créativité.
  • Améliorer la qualité du travail et la productivité.
  • Contribuer à la découverte et à l’actualisation de soi.
  • Faire face aux aléas émotionnels.
  • Favoriser l’équilibre mental (attention, cognition, affect).
  • Rendre plus optimiste.
  • Assurer un certain niveau de compassion pour soi.
  • Faire grandir la spiritualité et la maturité au plan moral.
  • Favoriser l’adoption de buts intrinsèques (et non extrinsèques).
  • Augmenter l’altruisme, l’empathie, la compassion, la bonté.
  • Améliorer les relations avec autrui.
  • Augmenter l’engagement dans des comportements écologiquement responsables.
  • Donner un sens plus profond à l’existence.
  • Améliorer la qualité de vie, le bien-être et le bonheur.


Extrait de la Revue québécoise de psychologie (2014), 35(2), 1-7 –
(Fredrickson, Cohn, Coffey, Pek, & Finkel, 2008; Henry, 2013; Kabat-Zinn, 1990/2012; Langer, 2009; Malinowsky, 2013; Niemiec & Ryan, 2013; Shapiro, 2009 ainsi que les articles du présent dossier).

"Le meilleur moment pour pratiquer est maintenant"
Thich Nhat Hanh

Comment ?

Tout d’abord, il faut savoir que cet entraînement à la pleine conscience est possible, tout comme pour n’importe quelle habileté, et que cet apprentissage laisse des changements permanents dans le cerveau.

En savoir plus :
Le rapport détaillé est publié dans Brefczynski- Lewis, Lutz, Schaefer, Levinson & Davidson, 2007; on trouve un compte-rendu abrégé dans Davidson & Begley, 2012, pp. 215-218. Pour d’autres études avec des « experts » sur la méditation de compassion, voir Lutz, Greischer, Rawling, Ricard & Davidson, 2004; Lutz, Brefczynski-Lewis, Johnstone & Davidson, 2008.

Voici une expérience à vivre grâce à cette vidéo pour mieux comprendre ce qu’est la pleine conscience.




La pleine conscience est donc un ensemble d’activités que l’on peut faire pour la muscler.

Prendre conscience de sa respiration

 Respirer naturellement ou de façon profonde et amener exclusivement l’attention sur les sensations de la respiration (air qui rentre et sort, le ventre qui se gonfle et se dégonfle, etc.)

Prendre conscience de son corps 

L’exercice consiste à porter l’attention progressivement sur les différentes parties du corps, de la tête aux pieds ou inversement. C’est le fameux exercice du scan corporel.

La pleine conscience au quotidien 

Porter attention à ce que l’on voit, sent, ressent dans des gestes quotidiens (attentes des transports, jardinage, cuisine…), pendant les repas (goûts, saveurs, mastication, couleurs, etc.).

S’exercer à la pleine conscience, c’est se livrer à de nombreux exercices formels et informels. On vous propose d’utiliser le chemin de l’attention que vous trouverez sur notre site, avec tous nos outils :




Pour aller plus loin
Nos outils ScholaVie adaptés à la période de confinement et de retour à l'école
Le site internet de covid'Ailes et notamment son kit pratique d'attention  

Ouvrages
Jennings, P. (2019). L'Ecole en pleine conscience. Les Arènes.
André, C. (2011). Méditer, jour après jour : 25 leçons pour vivre en pleine conscience. L'Iconoclaste. 

Pour la pratique de la pleine conscience à l’école avec les ados (avec CD) :
Tout est là, juste là, Jeanne Siaud-Facchin , Odile Jacob
Respirez, Elise Snel, les Arènes Pour la pratique de la pleine conscience à l’école avec les enfants (avec CD) :
Petit cahier d’exercices de pleine conscience, Jouvence éditions
Calme et attentif comme une grenouille, Elise Snel, Les Arènes 

 Article
Shankland, R., André, C. (2014). Pleine conscience et psychologie positive : incompatibilité ou complémentarité ? Revue Québécoise de Psychologie, 35, 157-178.

jeudi 3 septembre 2020

Comprendre les racines de la violence éducative ordinaire et ses conséquences : un pré-requis pour des relations bientraitantes

sur le site :  https://apprendreaeduquer.fr/


conséquence violence éducative théorie de l'attachement



Je vous propose un nouveau format d’article sur le blog. Il s’agit d’interviews menées par Ingrid van den Peereboom, animatrice de l’émission radio Vers une parentalité bienveillante sur RCF et spécialiste du portage physiologique. Ses interviews donneront la parole à des penseurs et des penseuses de l’accompagnement respectueux des enfants qui aborderont des thèmes peu évoqués par ailleurs.

Aujourd’hui, Ingrid s’entretient avec Jean-Pierre Thielland. Ce dernier a été instituteur, puis enseignant spécialisé en Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED). Il a ensuite exercé les fonctions de psychopédagogue en Centre Médico-psycho-pédagogique ou CMPP. Président de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire, Jean-Pierre Thielland aborde l’attachement et la violence éducative ordinaire dans son livre intitulé Je peux la taper… elle est de ma famille – Attachement et violence éducative ordinaire, un livre paru en 2019 aux éditions l’Instant Présent.

En France, plus de 80% des enfants sont soumis à des punitions corporelles, des humiliations ou des violences psychologiques sous forme de punitions ou sanctions diverses. La tolérance à l’égard de ces pratiques et l’absence de politique de prévention à l’échelle nationale ont un impact très lourd sur l’état de santé psychique de nombreux enfants et adolescents.

Dans son livre, Jean-Pierre Thielland évoque divers accompagnements d’enfants. Son récit est émaillé de multiples références simples et claires, très utiles à la compréhension, sur la théorie de l’attachement développée par John Bowlby, puis à sa suite Mary Ainsworth. Il a accepté de répondre à quelques questions à ce sujet, en complément de l’émission radio diffusée le 19 mai 2020 sur RCF.


Jean-Pierre Thielland, en s’appuyant sur l’éthologie, Bowlby remet en cause les principes freudiens. En quoi cela nous aide-t-il dans l’accompagnement des enfants ?

Ce sur quoi insiste énormément Bowlby, c’est l’interaction. C’est-à-dire que pour le bébé ou l’enfant, être nourri n’est pas la chose la plus essentielle pour lui assurer un développement affectif sécure et satisfaisant. Ce qui est très important, c’est le côté relationnel entre ce bébé, cet enfant et sa figure d’attachement. Et c’est quelque chose qui fonctionne dans les deux sens : la figure d’attachement apporte de la sécurité au bébé de par son acceptation, son accueil inconditionnel et, en même, temps, le bébé, par ses manifestations, – ça peut être des pleurs, ça peut être un sourire, un appel du regard -, va faire résonner, faire vivre en fait, chez la mère ou chez le père, cette attention. Il va éveiller l’attachement du parent à son égard. L’enfant mobilise des affects qui vont faire en sorte que le parent va s’approcher et répondre à sa demande.

Bowlby a souligné l’importance de cette dimension interactive innée, contrairement à la théorie freudienne qui plaçait au premier plan le nourrissage du bébé. Freud n’a pas insisté comme Bowlby sur la primauté accordée par le bébé à la relation, à la qualité du lien avec la figure d’attachement et à l’importance de cet aspect interactif de la relation.



Vous évoquez un petit Alexandre qui intériorise l’idée que c’est parce qu’il fait des bêtises qu’il est frappé et puni. Il justifie ce qu’on lui fait et donne un sens à son vécu pour comprendre le monde. 

Oui, et aussi pour avoir une place. Un jeune enfant ne peut pas imaginer que son parent est en train de lui faire violence et de le maltraiter. C’est impossible. La théorie de l’attachement nous dit justement que, pour un enfant, c’est extrêmement important qu’il identifie son père ou sa mère comme des personnes sécures sur qui il peut compter. Et que lorsque son attitude, quelle qu’elle soit, va déclencher chez son parent une réponse qui sera insécurisante pour lui, il va organiser son fonctionnement pour que ça n’arrive plus ou le moins souvent possible. Donc il va faire en sorte de ne pas susciter de manifestation de réprobation chez son parent. C’est une première chose.

Et puis, pour que ça ait du sens pour lui, il va se servir du phénomène du déni pour justifier ce comportement, faire sens de ce comportement, en intériorisant l’idée que c’est de sa faute. Le déni lui permet de conserver une représentation acceptable de son parent. Et c’est lui qui provoque, par son comportement, les manifestations effrayantes et violentes de son parent. Et bien souvent, il y est invité par les paroles des parents, qui peuvent dire à l’enfant qu’il les pousse à bout, qu’il exagère, qu’il est insupportable, qu’on ne peut rien faire de lui, toutes ces expressions qu’on peut entendre chez les parents qui leur permettent pour eux-mêmes aussi de justifier leur propre violence. Et ça va aussi dans les deux sens, c’est-à-dire que ça va inciter l’enfant à endosser la responsabilité de la violence qui lui est infligée. C’est extrêmement pervers, mais c’est vraiment très important à identifier.

Ce système de maltraitance, de violence devient presque un système qui s’auto-alimente, à la fois du côté du parent et à la fois du côté de l’enfant. S’il n’y a pas une personne dans l’entourage de l’enfant qui peut lui faire sentir, qui peut même lui faire comprendre que ce qui se passe n’est pas normal, il va s’identifier à ce comportement. Il va en faire un signe pour lui d’appartenance et d’identification à sa famille. Il va accueillir ce mode relationnel basé sur la violence et en faire une composante de sa personnalité. À l’école, s’il rencontre un garçon qui fonctionne plus dans l’empathie ou qui réagit différemment de lui, ça peut susciter en lui de l’agression. Ça le remet en face de ce qu’il vit et de ce qu’il a élaboré comme fonctionnement plutôt du côté d’une réponse violente. Et constater qu’un enfant réagit différemment, dans la cour de récréation par exemple, ça peut susciter chez lui de la violence. Ça peut le pousser à être agressif avec cet enfant qui n’est pas sur le même fonctionnement que lui. C’est une reproduction de la violence du parent, qui lui-même reproduit la violence qu’il a subie quand il était enfant.


Pour sortir de ce système, il est nécessaire de passer par de nombreuses prises de conscience. 

Oui. C’est très important et c’est très difficile. J’entends la prise de conscience au sens où l’entend Alice Miller, c’est-à-dire une prise de conscience qui soit émotionnelle, pas uniquement intellectuelle. Ce qui est important pour un adulte quand il devient parent, c’est d’avoir cette possibilité d’identifier ce qu’il a vécu, lui, en tant qu’enfant comme étant potentiellement maltraitant, qu’il puisse avoir un espace, une rencontre avec quelqu’un où il va pouvoir à la fois verbaliser ce qui lui est arrivé – pouvoir décrire la situation de manière factuelle, pouvoir essayer d’identifier les différentes personnes – d’une part et surtout de pouvoir, autant qu’il peut, récupérer un certain nombre des émotions et des sensations qu’il a ressenties, ce que ça lui a fait à ce moment-là dans la situation de violence qu’il a subie. Il s’agit pour lui de se réapproprier quelque chose qu’il n’a pas pu exprimer à ce moment-là et de pouvoir le partager avec quelqu’un. Ça peut être un thérapeute, mais aussi quelqu’un de proche, un ami… Et du coup, ce vécu de violence, avec les émotions et la souffrance qui s’en est suivie, peut occuper une autre place.

La personne n’est plus agie par cette violence, mais elle en a un souvenir, une mémoire autobiographique. Ceci signifie : je peux resituer ce qui m’est arrivé dans ma mémoire, je peux en parler, je sais que ça m’est arrivé, je sais que ça n’était pas normal, je sais que j’ai souffert et je sais aussi que je n’ai pas envie de refaire la même chose avec mon enfant. Donc cette nouvelle mémoire, cette histoire qui est intégrée à ma personne, dans ma mémoire psychique, dans ma mémoire émotionnelle, voire même dans ma mémoire corporelle, elle devient un repère pour moi. Quand je vais être à mon tour parent et que l’attitude de mon enfant va allumer cette violence, je saurai l’identifier pour ce qu’elle est, c’est-à-dire ce qui m’est arrivé et que j’ai en moi de douloureux, de violent éventuellement. Mais je ne vais pas l’adresser à mon enfant d’une manière immédiate et violente. Je vais avoir un réflexe, une lumière qui va s’allumer pour dire : Ah oui là, attention ! Il y a une fragilité. Je fais attention à ce que je vais faire avec mon enfant. Ça permet de ne plus être l’objet de sa propre violence et de ne pas la reproduire.

Pour moi, c’est une façon à la fois indispensable de sortir du phénomène du déni, qui a eu son utilité à un moment donné dans l’enfance, mais qui devient un empêchement à rejoindre son enfant si on devient un jour parent. C’est l’essentiel à mes yeux pour permettre de sortir de cette reproduction de la violence. En ce qui me concerne, j’ai beaucoup lu les livres d’Alice Miller, qui m’ont énormément aidé, parce que derrière les mots d’Alice Miller, il y a une résonance émotionnelle. Son écriture a cette particularité de nous mettre en lien avec nos émotions, avec notre histoire et il peut y avoir un véritable travail : c’est presque une écriture thérapeutique. Ses livres nous permettent justement de nous remettre en lien avec cette histoire passée et d’y trouver un sens qui nous rapproche de notre enfant maltraité, notre enfant intérieur et qui, du coup, va nous aider à nous mettre en lien avec notre propre enfant si un jour on est parent. Le processus de lecture peut aider à cette prise de conscience. J’aime beaucoup le cinéma et il y a aussi des films qui sont importants. Il y a un très beau film américain intitulé La nuit du chasseur, de Charles Laughton, sorti en 1955, où on a justement à la fois la cécité émotionnelle des adultes proches des enfants, le prédateur et le témoin secourable et la capacité des enfants à trouver de l’aide. Il y a évidemment le film de Michael Haneke, plus récent, sorti en 2009, intitulé Le ruban blanc, qui montre bien aussi le processus de répétition de la violence. Donc c’est important de pouvoir se saisir sur sa route de témoin lucide, de tuteur de résilience, comme le dit Boris Cyrulnik, pour pouvoir sortir de cet enchaînement, de cette répétition. 



Que fait ce témoin secourable ? Il apporte un regard ? Il verbalise des choses essentielles ? 

Il offre une sensibilité et une écoute sensible. Il va avoir une attitude qui va permettre que la parole de celui qui s’exprime puisse se déployer dans sa totalité. Il ne va pas juger. Il ne va pas forcément donner de conseils non plus. Il va essayer d’ouvrir des pistes pour que le maximum d’émotions puissent avoir une place, s’exprimer dans toute leur richesse et en toute liberté. Cet espace est important, que représente le témoin secourable. Ça peut être de la parole et, avec les enfants, ça peut être le jeu. Dans le livre, je montre bien comment cette petite fille s’empare de tout son imaginaire, sa créativité pour raconter et revisiter des histoires qui lui sont arrivées, avec des émotions, avec du corps. Avec les enfants, c’est possible de faire ça. Avec un adulte, ça sera peut-être au niveau de la parole et aussi des émotions, l’expression, des larmes, peut-être aussi la colère. Donc c’est vraiment ce rôle du témoin secourable qui ouvre la porte aux émotions, à l’histoire passée, en offrant sa capacité d’écoute et tout ce que peut avoir vécu un enfant dans son histoire. Et ça peut être absolument terrible. On ne va pas minimiser non plus, dans l’idée que ça pourrait être rassurant. On ne va pas chercher non plus à rassurer l’autre, mais être disponible à tout ce que la personne a à exprimer de sa souffrance et de son histoire. Pour moi, ça serait vraiment ça, les qualités d’un témoin secourable, d’un témoin lucide.



Vous évoquez la délicate situation de l’accompagnement d’une petite fille dont on vient de parler. Vous manifestez que la mère refuse de s’impliquer autant que vous lui en donnez la possibilité. 

Oui. Je dis qu’en fait, elle n’arrive pas à changer des choses dans son comportement, dans sa posture de mère autoritaire et violente. Elle ne veut pas du tout ni interroger la légitimité de cette attitude, bien-sûr, et en plus, surtout, ne pas non plus y apporter un changement. Mais ça, c’est ce qu’elle dit. Et je ne sais pas si le fait que je lui donne des informations sur ce que je pense être nocif et contre-productif dans son attitude dans sa manière “d’accompagner” sa fille quand il y a des devoirs à faire à la maison est opérant. Elle entend des choses. Après, je ne sais pas ce qui se passe en elle, comment ça peut travailler. En tous cas, je lui délivre des informations sur ce que je pense être nocif dans son attitude. En ma présence et avec moi, il n’y a pas vraiment de dialogue. Elle reste sur ses positions.

Vous n’avez pas le même objectif, en fait. Elle veut de la réussite scolaire et vous cherchez le bien-être de la petite fille d’un point de vue global.

Oui. Mais je pense que la réussite scolaire, ça procure du bien-être à la petite fille aussi, malgré tout. C’est comme ça pour elle. Elle va à l’école. Elle n’a pas le choix. Ses parents ont décidé qu’elle allait à l’école. Et donc, cette petite fille fait avec ça. Si ça se passe bien à l’école pour elle, ça va lui apporter du bien-être. Je suis aussi dans cet objectif, même si ce n’est pas l’essentiel, même si je pense que ça viendra de toute façon si cette enfant arrive à pouvoir s’ouvrir, être en lien avec elle-même et exprimer tout ce qu’elle est, tout ce potentiel dont elle dispose, qui est extrêmement riche et qui ne soit pas victime de la répression du côté de sa famille, du côté de sa mère. De ce côté, mon inquiétude était en fait ce comportement de passage à l’acte. Au CMPP (Centre médico-psycho-pédagogique), il arrivait quand-même parfois que les familles ne viennent plus et j’avais un peu l’inquiétude que cette mère interrompe l’accompagnement. J’ai (quand-même) aussi travaillé cette peur en moi et donc sans doute que je n’ai pas été trop insistant sur une collaboration, un engagement plus soutenu de la part des parents. C’est toute la dynamique de ses propres peurs quand on est un clinicien : comment on fait avec ça ? J’en parle un petit peu dans le livre quand cette mère me dit : moi, j’ai été élevée comme ça et que je n’en fais rien. Je la laisse avec cette affirmation, comme si elle présentait une porte fermée et qu’il ne fallait pas franchir cette porte. Ça risquait de la fragiliser, de la mettre en difficulté et qu’elle claque la porte, du coup. Et donc, je ne suis pas allé investiguer là-dessus. Je suis resté comme ça parce qu’il y avait en moi une inquiétude que cette mère arrête tout en disant Ça sert à rien, le CMPP, et donc moi je veux lui faire faire – comme elle faisait – du travail scolaire en plus. Elle s’est quand-même un peu engagée. Elle n’est pas venue à tous les rendez-vous, mais elle est quand-même venue. Elle a accepté mon projet affirmé de travailler sur la confiance en soi, sur l’expression des émotions. Ce sont des choses qui ont été dites. Même si ça ne correspondait clairement pas à ses attentes, elle a quand-même accepté que sa fille vienne voir un psycho-pédagogue une fois par semaine pour l’amélioration pour elle du travail scolaire. Tout cela est assez subtil. Et ce qui est remarquable dans cette situation, – parce que ce n’est pas fréquent – , c’est que je trouve que cette petite fille a réussi à faire bouger des choses dans sa famille. Des choses ont bougé. Cette fameuse histoire de cette sœur dont il était interdit de parler, avec qui elle ne pouvait plus avoir de contacts, ce sont des choses qui ont évolué, justement, au cours du processus de soin et aussi à la fin. Cette petite fille a peu à peu construit cette assurance au travers d’une légitimation dans l’espace de soin de ce qu’elle avait à dire, des émotions qu’elle avait à exprimer, de ses plaintes, de ses reproches. Tout cela a pu se déployer et être accueilli. Ça lui a permis de se construire des repères internes sécures et de pouvoir sans doute affronter des choses qu’elle n’était peut-être pas en capacité d’affronter à un moment donné, trop submergée par les reproches qu’elle était en difficulté scolaire, qu’elle ne travaillait pas assez, etc. Tout cela a été complètement remis à une autre place : elle a pu se rendre compte d’une part qu’elle était véritablement compétente pour apprendre à lire, – ce qui était bien entendu évident – et, du coup, ouvrir la place pour tous les autres aspects de sa personnalité : la créativité, la possibilité de pouvoir exprimer ce qui la préoccupait, voire aussi les reproches qu’elle pouvait faire concernant la manière dont ses parents se comportaient.




Vous évoquez dans votre livre Mary Ainsworth, qui observe trois types d’attachements et qui établit une classification. Elle observe des bébés à l’attachement insécure, ambivalent pour un premier groupe, évitant pour le deuxième groupe et sécure pour le troisième. Dans quelle mesure cette grille d’analyse vous aide-t-elle lorsque vous accompagnez un enfant en difficulté ? Et par exemple dans l’histoire de cette petite fille ?

Elle n’était pas dans l’évitement. Ce n’était pas une petite fille qui ne demandait pas d’aide. Elle pouvait solliciter sa mère. Mais en même temps, elle avait des réponses qui étaient plutôt insatisfaisantes. Elle était un peu entre deux. À la fois, elle avait des réponses de son parent qui alimentaient chez elle de l’angoisse et de l’anxiété et qui pouvaient en même temps l’inviter à ne plus demander d’aide. Je crois qu’il y avait les deux : à la fois un attachement qui était du côté de l’évitement et aussi un attachement qui était du côté de l’anxiété. À un moment, elle me dit quelque chose qui se passe à la maison autour du travail scolaire, et elle ajoute mais je veux pas que tu en parles à ma mère. Il y a en elle une conscience qu’il y a des choses qui ne peuvent pas être partagées avec ses parents, parce que ça risque de se retourner contre elle, de provoquer du rejet, des reproches ou bien quelque chose qui serait de l’ordre d’une désappartenance, une espèce de trahison, de remise en cause du fonctionnement familial. Dire qu’elle n’est pas contente, pas satisfaite de ce qui se passe à la maison pourrait lui être reproché comme étant un signe de désappartenance. 



Il n’y a pas d’espace pour un débat au sein du système familial, donc la remise en cause ne peut se faire qu’en aparté. 

Oui. J’ai compris cela comme une prise de conscience de cette petite fille de ce qu’il était possible de mobiliser du côté de ses parents et de ce qu’il était absolument indispensable de laisser à l’intérieur de l’espace dans lequel elle travaillait. C’était remarquable. C’était sa manière à elle de s’approprier l’espace de soin et de ne pas peut-être le fragiliser en y allant trop vite ou trop fort. Il y a vraiment une intelligence émotionnelle de cette petite fille qui lui fait repérer ce qu’il est possible de faire bouger dans sa famille et ce qu’elle va garder pour elle, en elle. Peut-être qu’un jour elle fera bouger les choses. Mais en tous cas, pour l’instant, pour elle, c’était une limite à ne pas franchir. Elle a senti ça comme ça.



Et donc le dialogue avec vous, qui étiez son témoin secourable, lui permet de sentir qu’elle ne porte pas des choses indicibles toute seule ?

Oui, absolument. Ça aussi, c’est important, parce que la violence éducative attaque aussi la parole. Le fait de mettre des mots, le fait de pouvoir parler, de pouvoir raconter la réalité des choses, avec la réalité de ce qui est ressenti de ce qui est vécu, permet vraiment d’avoir une parole vraie, authentique, incarnée, en lien avec ses émotions, avec son corps et c’est une espèce de victoire, une réappropriation de sa propre parole, au-delà des injonctions des parents qui peuvent dire : C’est de ta faute si on est obligés de te donner une fessée ; c’est parce que tu es paresseuse. Si on est obligés de te faire travailler plus à la maison, c’est parce que tu ne travailles pas bien à l’école, toutes ces injonctions et ces mots qui contaminent la pensée, la parole, sa propre parole et la façon dont on doit entendre la parole de l’autre. Tout est contaminé par une prétendue responsabilité de la violence qui nous est infligée et de la culpabilisation aussi, voire de la honte.

Serge Tisseron, dans son dernier livre, Mort de honte, (Éditions Albin Michel, 2019), un livre autobiographique, dit que la honte empêche de penser. Donc cette petite fille a aussi, au travers de l’indicible, fait une reconquête de sa capacité de penser et de sa capacité de se réapproprier un parler vrai. J’ai trouvé ça fabuleux ! C’est un grand bonheur d’assister à cet éveil qu’elle fait, quelque chose qui est du côté de la joie, de la créativité, d’une authenticité de cette personne, de cette petite fille. L’indicible est fortement égratigné.



Et donc, quand vous êtes témoin de cet éveil, c’est l’instant où l’enfant comprend qu’il est – je vais faire allusion à un film – “imbattable”, même s’il a grandi dans un univers où tout tendait à lui faire croire qu’il était “battable”.

Tout à fait ! Ça se passe en Suède, Même qu’on naît imbattables ! (2018). En France, les enfants sont très seuls. Pour moi, ils sont abandonnés, maltraités par l’institution, par cet abandon, justement. Et donc, effectivement, j’imagine que cette petite fille a pu se construire un repère à l’intérieur d’elle-même, qui lui a fait prendre conscience qu’elle était imbattable, c’est-à-dire qu’il n’y avait aucune légitimité à ce qu’elle soit punie, frappée, malmenée verbalement à la maison et qu’elle avait tout à fait droit à être en sécurité à l’intérieur de son domicile familial, avec son intégrité physique et psychique. C’était un droit, en fait. Elle a peut-être fait cette expérience dans cet espace de soin du CMPP d’une expression très large de tout ce qu’elle pouvait avoir à dire et à exprimer sans sanction, sans répression, etc.

Je pense au moment où elle a manifesté, au tout début où on se voyait, des attitudes très autoritaires dans la manière dont elle jouait par exemple. Et c’était intéressant qu’elle fasse cette expérience de pouvoir déployer aussi cette manifestation autoritaire un peu intrusive. Elle avait tellement peur de perdre dans des jeux à règles qu’elle m’empêchait de jouer ou qu’elle jouait à ma place : des comportements que j’interprétais comme étant un signe de ce qu’elle pouvait subir à la maison. Mais en même temps, il n’y a pas eu de retour de ma part du côté de l’”éducatif ”, comme par exemple : Quand on joue, il faut aussi savoir perdre. Ce n’était pas le but.



Le jeu est une occasion pour vous de l’observer ?

C’est une occasion de m’inscrire dans son jeu à elle, c’est-à-dire d’occuper une place dans ce qu’elle a envie de raconter. Et dans le fait que je me prête à ce besoin qu’elle avait de tout maîtriser, par exemple. C’était ça, mon jeu à moi, tout en le lui disant, bien entendu. Il y a des mots qui sont apportés à ce moment-là, qui décrivent la situation : Ah ben là, tu joues à ma place ; tu veux pas que mon pion soit le premier ? Mais je joue son jeu. Je ne joue pas vraiment, pas comme quand on joue avec les enfants en famille. C’est juste un prétexte, une médiation pour lui permettre d’exprimer des choses en toute sécurité.



Parce que le jeu est quelque chose de connu ?

Oui. Le jeu, c’est extrêmement riche : à la fois les jeux à règles et les jeux qu’elle a pu aussi déployer avec ses petits personnages, voire en jouant un rôle elle-même et en me faisant moi aussi jouer un rôle. Il y a du corps, il y a quelque chose de différent. Le jeu, c’est fantastique pour pouvoir exprimer des difficultés, des émotions, des questions…



Il y a une part d’insaisissable quand on accompagne un enfant. Avez-vous pu percevoir si elle était moins frappée autour des moments de travail scolaire à domicile vers la fin de l’accompagnement ?

Au fil des séances, elle a manifesté son désagrément par rapport au fait qu’elle continuait de faire du travail à la maison. Presque à la fin des séances, quand elle apprend qu’elle va passer dans la classe supérieure, – ce qui était une demande insistante de sa mère – , elle est à la fois contente et rassurée parce que c’est une étape qui va être franchie et, en même temps, elle dit son inquiétude, mais elle n’évoque plus les violences. Et puis elle évoque aussi cette fameuse nouveauté où sa sœur va pouvoir revenir dormir à la maison. Elle est du côté du soulagement, du changement qui est en train de s’opérer et qui va dans le sens de ses attentes, avec quand-même une inquiétude par rapport à cette scolarité tellement appuyée par sa mère. Dans les dernières séances, elle n’en parlait plus, alors je ne sais pas. Je n’ai pas la réponse. C’est insaisissable.



On n’a pas toujours de feed-back sur ce qu’on fait.

Je ne sais pas non plus ce que cette mère a fait de ce que j’ai pu lui dire, des informations que j’ai pu lui donner, sur le côté toxique de son attitude éducative, de cette violence éducative. Je ne sais pas du tout ce qu’elle en a fait. On peut constater des choses : le fait que cette grande sœur ait été autorisée à revenir dormir à la maison ; dans un entretien avec la mère, alors qu’on a fait quelques séances, cette mère dit qu’elle a remarqué que, effectivement, sa fille avait un peu plus confiance en elle. S’ajoute l’histoire de la piscine, où Mélanie ne veut pas faire de la compétition. Elle a peur ou elle a mal au ventre. Donc cette petite fille n’est quand-même pas totalement dans la soumission. Elle résiste. Dans cette situation où elle va apprendre à faire de la natation, mais où c’est encore pour faire de la compétition, avec tout ce que ça implique, elle a quelque chose aussi en elle qui fait qu’elle ne veut pas y aller. Elle résiste aux injonctions de cette famille qui l’inscrit toujours dans des processus qui sont maltraitants, ou en tous cas qui vont à l’encontre de ses besoins et de ses désirs. Donc c’est maltraitant.



Il y a souvent un conflit entre la reconnaissance des besoins et des désirs des enfants et le fait que, souvent, des parents se projettent dans l’avenir et veulent construire une carrière pour leur enfant et ont du mal à le regarder tel qu’il est, aujourd’hui, dans le présent tout simplement.

Oui. Il y a un manque de confiance. Ma représentation, c’est qu’il suffit d’accompagner l’enfant, d’être là dans ce qu’il a, lui, à déployer, à montrer, à découvrir, à partager, à nous faire découvrir, à nous apprendre. Il y a vraiment cette idée interactive de se laisser aller à l’accompagnement d’un enfant. Or, le rapport de pouvoir est extrêmement présent : beaucoup de parents ont peur que leur enfant prenne le pouvoir. Et ça vient de leur éducation, évidemment. Ils ne font pas confiance à l’enfance. Ils imaginent que leur enfant va chercher à les manipuler, à prendre toute la place. Du coup, ils vont mettre en place des interdits, des injonctions qui ne sont pas au service de l’accompagnement de l’enfant, mais qui sont au service de leur peur, qui vient de leur propre histoire. Ils sont en fait manipulés par cette histoire-là. Ils n’ont pas clarifié les incohérences de ce qu’ils ont eux-mêmes subi. Du coup, c’est ça qui continue de fonctionner quand eux-mêmes sont parents. Ils se privent de choses fantastiques. C’est ça qui est triste. Ils empêchent tout un processus extrêmement riche fait de choses joyeuses et moins joyeuses qui font aussi partie de la vie. Ils sont malheureux et les enfants sont malheureux.



C’est une fuite en avant parce qu’ils n’ont pas fait la paix avec leur enfant intérieur ?

Ils l’ont un peu abandonné, en fait. Ils ne lui ont pas ouvert la porte. Ils ne lui donnent pas la parole. Ils le font taire. Cet enfant intérieur pourrait prendre la parole, les aider et leur servir de guide dans la façon dont ils pourraient être avec leur enfant quand ils sont parents. Mais si cette clarification dont je parlais plus haut n’a pas été faite, cet enfant intérieur n’est pas le bienvenu. Il reste enfermé dans une crypte, avec une histoire de maltraitance qui n’a pas été identifiée comme telle. C’est le fameux livre d’Alice Miller, C’est pour ton bien : soit intégrer que J’ai eu des fessées et je n’en suis pas mort, comme ils disent parfois, ou Ça m’a même fait du bien ! C’est une façon de faire taire l’enfant intérieur que de ne pas lui donner la parole et de continuer à le maltraiter. C’est terrible. Et ça empêche d’être un parent suffisamment bon (cfr. Donald Winnicott), en tous cas une figure d’attachement sécure avec son enfant, alors que cette capacité d’occuper cette place est tellement agréable et riche, très nourrissante pour soi, dans cette dimension d’accueil de l’enfant avec ce qu’il est et ce qu’il a à nous raconter et à nous faire découvrir de lui. 

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Source : Je peux la taper, elle est de ma famille : attachement et violence éducative ordinaire de Jean-Pierre Thielland (éditions L’Instant Présent). Disponible en médiathèque, en librairie ou sur internet (site de l’éditeur).